Hommage à Edmond Couchot

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Cher Edmond,

ton départ suscite le besoin impérieux de te rendre hommage et de dire à quel point « Je sème à tout vent » dont tu es l’auteur avec Michel Bret et Marie-Hélène Tramus-Couchot, est l’une des œuvres les plus originales qu’il m’ait été donné d’activer et de contempler. Une œuvre aussi délicate que puissante. De celles qui marquent la sensibilité de façon indélébile. Une création qui fut, pour moi, associée à mes tout débuts de commissaire d’exposition. Une œuvre immatérielle qui repose sur un geste chargé de spiritualité et proprement humain : le souffle.

« Je sème à tout vent » nous met face à l’image d’une ombelle de pissenlit. Trônant sobrement au centre de l’image, la boule blanche vaporeuse que porte une tige frêle dodeline doucement dans l’espace noir de l’écran, comme ballotée par une brise légère. La taille du capitule sphérique est semblable à celle de la fleur que tout enfant a déjà cueilli pour en éparpiller les akènes en un souffle. Et c’est précisément ce à quoi nous invite l’œuvre : souffler sur l’image pour souffler la fleur et en essaimer les fruits aériens aux quatre vents. On souffle légèrement sur l’ombelle, et voilà que quelques-uns de ces petits parachutes végétaux s’envolent. On souffle à pleines joues et voici tous les akènes qui se détachent, s’éparpillent et retombent dans le hors champs de l’écran. Une image qui se comporte comme ce qu’elle représente. Quelle audace ! Quelle idée géniale ! Un moment proustien de pure poésie visuelle qui porte avec sobriété et épure « l’édifice immense du souvenir » et active la réminiscence de l’enfance.

À cette œuvre succède une autre, « La plume » tout aussi délicate. Ici encore l’analogie est totale entre la version réelle et virtuelle de ce qui est représenté : une petite plume duveteuse d’oiseau que l’intensité et la durée du souffle du visiteur élève dans les airs, d’un mouvement fluide et virevoltant, avant qu’elle ne se pose doucement tout en bas de l’écran noir, prête à accueillir le souffle d’une nouvelle interaction.

Tu m’avais malicieusement confié en septembre 2001, à l’époque où j’ai eu la joie de pouvoir exposer cette œuvre si singulière à la MEP, que tu voyais dans ce geste artistique un pied de nez à tous ceux pour qui l’art numérique, art de « technomaniaques » raillaient-ils, manquait de vie. En guise de modeste soutien, face à cette frilosité critique et institutionnelle qui te désolait répondit le plaisir de voir entrer cette œuvre d’art numérique interactive remarquable dans les collections de la MEP avec la bénédiction d’Henry Chapier et Jean-Luc Monterosso.

Cher Edmond, tu auras semé à tout vent, par tes enseignements à l’université de Paris 8, tes écrits théoriques et tes œuvres pionnières. Ces mots de Marie-Hélène, vers qui vont toutes mes pensées, résument de façon émouvante l’entreprise qui fut la tienne, qui fut la vôtre : « Je sème à tout vent. On s’aime à tout vent…à la recherche d’une poésie de l’image vivante qui parle à nos sens, à notre imagination ».

Edmond Couchot, né en 1932 à Paris et mort le 26 décembre 2020, est un professeur des universités, théoricien et artiste contemporain français, plasticien, pionnier des arts numériques. Il est un des fondateurs de la formation Arts et Technologies de l’Image de l’Université Paris 8 qu’il a dirigé jusqu’en 2000. En tant que théoricien, il a publié de nombreux articles et livres sur les relations entre l’art et la technologie. Plasticien d’origine, il crée dès les années 1975 des dispositifs cybernétiques interactifs réagissant au son et sollicitant la participation du spectateur.

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Je sème à tout vent (1990) – La Plume (1988-1990)
Installation interactive d’images de synthèse tridimensionnelles implémentée sur ordinateur.
Création pour Artifices. Commissaires : Jean-Louis Boissier, Pierre Courcelles.
Matériel de création et de présentation : ordinateur Silicon Graphics IRIS 4D/25, logiciel ANYFLO, capteur F.G.P. Instrumentation.